
Il existe aujourd’hui une mode qui ne cherche ni à plaire ni à rassurer. Une mode qui ne s’excuse pas d’exister et qui parle avant tout de qui l’on est et d’où l’on vient.
Cette mode ne se pense plus comme un produit, mais comme un langage. Elle s’approprie des codes existants, ceux de la rue, du luxe, du club, du workwear ou du digital pour les détourner, les tordre, les faire parler autrement. Être “radikal”, ici, ce n’est pas provoquer gratuitement, mais assumer une vision, quitte à déranger.

Certaines marques choisissent de poser ce discours de manière frontale, presque documentaire. Chez Ghetto Dreams, la position est claire : une réalité urbaine occidentale marquée par la contrainte sociale et les rêves construits dans des contextes limités. Le nom suffit à poser le cadre. Les vêtements fonctionnent comme des fragments de vécu, des symboles simples, bruts, sans fantasme ni échappatoire. Ce n’est pas une esthétique pensée pour séduire, mais un constat posé tel quel.
Cette même volonté de rendre visibles des réalités souvent mises à distance traverse le travail de Willy Chavarria. En plaçant au centre de son propos les communautés latino-américaines et ouvrières, le créateur inscrit la mode dans un champ ouvertement social et politique. Les silhouettes larges et puissantes deviennent un outil de représentation, un moyen de rendre dignité et visibilité à des corps longtemps marginalisés.


Dans une logique différente mais complémentaire, Lu’u Dan inscrit son travail dans un discours social centré sur la figure de l’anti-héros de la diaspora. Fondée par Hung La, designer vietnamien-américain, la marque se pense comme une plateforme qui donne forme à des identités souvent perçues comme illégitimes. Les silhouettes volumineuses et utilitaires fonctionnent comme des armures face aux injustices sociales, traduisant une masculinité complexe, forgée par l’expérience migratoire, la contrainte et la nécessité de se défendre. Ici, l’identité ne s’explique pas : elle se porte, elle s’impose.
À l’inverse de ces discours ancrés dans le social ou le structurel, d’autres marques abordent l’identité par l’énergie, l’attitude et la présence. Mowalola revendique une double influence britannique et nigériane, nourrie par la culture club londonienne, les scènes queer et la musique. Le corps y est central, exposé, revendiqué. La mode devient un espace de liberté, de sexualité et de puissance.

Cette idée d’identité partagée et transmise se retrouve aussi chez Wekafore, dont le travail s’appuie sur des références diasporiques et africaines pour construire un récit collectif, pensé pour une jeunesse mondialisée mais consciente de ses origines. Tout comme une marque plus émergente comme Magnolia Worldwide™ transforme le vêtement en signe de reconnaissance, en uniforme culturel.
Dans un registre plus direct, coucou_bebe75018 adopte une approche intime, mêlant humour, détournement, ironie et satire du quotidien. Le vêtement devient un commentaire personnel, un espace où l’émotion et le vécu servent de langage.

Avatar de sa propre existence, où le même est roi, on retrouve également AVP1_cloud qui explore une identité façonnée par le numérique et bien que plus abstrait, PROTOTYPES aborde l’identité non comme un récit personnel, mais comme une critique du système. À travers l’upcycling, l’anonymat et une esthétique industrielle, la marque interroge la standardisation, la production et la déshumanisation du vêtement dans un monde globalisé.
Aujourd’hui, une partie de la mode agit comme un langage identitaire, un moyen de rendre visible une histoire, une origine, une position. S’habiller devient alors un acte fort.
Reste une question : Dans un monde saturé d’images, la mode peut-elle encore se contenter d’être décorative ?


