
IN THE BEDROOM est le format de Radikal dédié aux artistes et talents émergents que nous avons dans le viseur. Aujourd’hui, Martín Vázquez Pinto (@51mpl31). Entre Santiago et Lisbonne, il explore le passage du graffiti à l’objet et donne une nouvelle forme à l’imaginaire de la rue chilienne à travers la céramique.
RDKL Hey, peux-tu te présenter ? ?
M V Je m’appelle Martín Vázquez Pinto. Je fais du graffiti depuis l’âge de quatorze ans et je travaille la céramique depuis six ans. L’une de mes principales influences, quand je fais de la céramique, reste la culture hip-hop : les flèches, les étoiles, la brillance, les icônes classiques du graffiti. Ce qui m’intéresse, c’est de les introduire dans le langage de la céramique et d’observer comment ces codes dialoguent.

Tes pièces ressemblent parfois à des tags en trois dimensions. Qu’est-ce qui change quand tu sculptes des lettres plutôt que de les peindre ?
La principale différence, c’est le rapport au temps et à la légalité. Dans la rue, tout est rapide, sous tension. En atelier, le temps s’étire, mais l’exigence reste la même.
Il y a aussi des similitudes. Quand on part peindre, ou faire une “mission”, il y a toujours une phase de recherche : aller sur le lieu, observer, comprendre comment ça fonctionne, repérer le spot encore et encore, y revenir autant de fois que nécessaire.
Avec la céramique, c’est un peu pareil. On observe constamment, on expérimente, on fait des essais. Chaque geste compte, chaque étape peut modifier le résultat final. C’est une autre forme de rigueur, mais l’énergie reste très proche de celle du graffiti.
La culture hip-hop a-t-elle influencé ton imaginaire visuel, que ce soit dans l’attitude, les couleurs, l’esprit DIY ou la liberté ?
Oui, profondément. Au Chili, il existe une scène hip-hop très solide, avec une histoire et une continuité, qui a évolué à sa manière, toujours avec créativité et originalité. Le graffiti, dans mon cas, m’a permis de prendre conscience de ma place dans le monde, à ma façon et je pense que c’est quelque chose de très complexe à atteindre.
Je crois que le hip-hop est un outil culturel libre parce qu’il naît de la rue. Il ne s’est jamais vraiment institutionnalisé. Même si certains
d’entre nous naviguent entre différents mondes, il restera toujours un langage de la rue, pour la rue. Il y a là une idée très forte de liberté, une liberté réelle qui répond au rythme de chaque individu, sans autre objectif que celui de s’exprimer.

À quel point le Chili est-il présent dans ton travail ?
Fondamentalement, dans tout. Mon imaginaire vient de Santiago, de la manière dont on traverse la ville quand on fait du graffiti : marcher, observer, accumuler des images. Tout ce que j’ai vu a construit mon regard.
Santiago m’émeut par ses contrastes: sale et propre, dense et fragile, humaine et dévastée. C’est cette sensation que je cherche à faire passer dans mes pièces, en la transférant vers d’autres matérialités.
Pourquoi Lisbonne aujourd’hui ?
En réalité, surtout pour chercher des opportunités et faire circuler mon travail. En Amérique latine, de manière générale, c’est assez compliqué pour les arts. C’est plutôt une démarche de “débrouillard”, comme on dit au Chili.

Qu’est-ce qui déclenche, pour toi, le moment où tu décidais d’appuyer sur le déclencheur ?
Quand le “feeling” passe… quand la magie est là. C’est ce moment précis où tu ressens l’énergie, l’authenticité, l’instant et tu sais qu’il faut capturer ça.
Tes pièces récentes ressemblent presque à des accessoires, comme des sacs ou des objets de mode.
En ce moment, je m’intéresse beaucoup à l’imaginaire de la mode. C’est quelque chose qui m’a toujours attiré : la manière dont les gens s’expriment dans la rue à partir de leur individualité, comment ils affrontent le monde, comment ils s’habillent.
J’aime beaucoup les sacs, parce que je pense qu’ils ressemblent aux formes originelles de la céramique précolombienne. Quand je fais des recherches, je reviens toujours à cet imaginaire. Il me parle directement, par le lieu, par la culture, parce qu’il racontait déjà ce que je vois aujourd’hui, mais il y a mille ans.
Les sacs, en tant qu’objets, ont beaucoup de similitudes avec ces formes anciennes : faits pour transporter des choses, mais aussi stylisés et chargés de symboles. J’y applique ce qui m’intéresse : le graffiti, le clinquant, la brillance, l’excentrique, l’extravagant, le faux, des attitudes qu’on voit dans la rue. Une forme de frime, avec une certaine élégance aussi.

Tes pièces jouent souvent avec l’idée de transformation. Que représente cette idée pour toi ?
J’ai toujours pensé que les choses devaient se transformer. C’est peut-être, au fond, l’ordre naturel de toute chose. C’est aussi une manière de répondre au capitalisme qui, malgré une apparente flexibilité, fonctionne comme une machine dure et écrasante, à l’opposé de ce qui est adaptable et vivant.
Le graffiti, dans ce sens, enveloppe et altère la structure architecturale de la ville, en donnant du mouvement à ce qui était inerte. Les tags racontent l’histoire d’un lieu et révèlent comment cet espace se transforme avec le temps.
Je crois profondément que tout doit changer. Ce serait extrêmement ennuyeux que tout reste figé. Transformer, c’est aussi affronter la peur qui nous oppresse et comprendre que cette peur n’est rien d’autre que le début de quelque chose de nouveau.
Pour toi, qui est “radikal” aujourd’hui ?
@esnore. Pour moi, c’est un représentant radical du graffiti et de l’art en général. Quelqu’un qui a ouvert des frontières entre le graffiti et l’art contemporain, et qui a influencé de nombreux artistes au Chili.
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