Type-Beats : L'économie parralèle

Type-Beats : L'économie parralèle

29 mars 2024

par Tim Levaché

par Tim Levaché

par Tim Levaché

Fully maximize the potential of AI in commercial projects

Les compositeurs de Type-Beat ont créé une nouvelle économie, capable de vivre en marge de la sacem et de L’industrie traditionnelle. 

C’est un parcours musical devenu presque classique. Au détour d’une session studio, d’un mail rempli d’instrumentales ou d’une rencontre fortuite, bon nombre de producteurs et productrices comme Benjay, Meel B ou encore Boumidjal ont réussi à se frayer une place de choix dans les charts grâce à leurs placements  respectifs pour Damso, Maureen ou encore Jul. Mais cette histoire, on la connaît. 

Depuis quelques années, le parcours des beatmakers est relativement bien documenté et mis en avant dans les médias spécialisés voire traditionnels, et décrit souvent cette même ascension : de la chambre d’adolescents aux disques de diamants.

Pourtant, dans la composition, les trajectoires sont multiples. Et une scène d’artistes installés depuis près de dix ans ont réussi à le prouver, en construisant un espace artistique en marge de l’industrie. Loin des artistes à succès, de la sacem et des projecteurs, focus sur celles et ceux qui composent les Type-Beats, ces instrumentales gratuites ou accessibles pour une poignée d’euros, et en quoi ils sont bâti à bout de bras leur propre économie.

Génération internet

Dans les années 2010 en France, Youtube a vu se développer un nouveau format musical : le type beat, soit une façon de composer « à la manière de ». Devenues hyper populaires, cumulant parfois des millions de vues, ces productions ont peu à peu envahi la culture rap de l’époque en surfant sur la popularité des artistes en vogue. Le but ? Proposer à un nombre croissant de rappeurs et rappeuses des instrumentales à des prix dérisoires qui allaient devenir la matière première de leurs maquettes, voire l'instrumentale définitive de leurs morceaux. Dont certains sont devenus des hits intemporels. C'est le cas chez PNL avec Le monde ou rien, un titre dont la production a été achetée par les deux frères entre 20$ et 40$ à un certain MKSB, compositeur californien derrière un des nombreux type beats de The Weeknd.

Si le phénomène type beat s'est bien installé au cours des années 2010 aux État-unis, il est resté timide en France. Mais à partir de 2015, plusieurs beatmakers ont décidé d’importer la tendance de notre côté de l’atlantique avec une idée en tête : les cuisiner à la sauce rap français. Parmi eux, le beatmaker Roshikilla s'est fait remarquer avec des centaines de productions

“ J’ai toujours été hyper observateur de ce qui se faisait aux States, je kiffais les Drake Type beats, les Asap Rocky Type beat et j’ai décidé de faire la même chose en France avec des artistes à l’époque émergents, comme Josman, Laylow ou Zola. C’était pas forcément développé et ça a explosé.

Avec plus de dix mille abonnés sur sa chaîne Youtube, des centaines de milliers de vues au compteur, Roshikilla s’est imposé comme l’un des leaders de la composition des type beat en France. Pourtant, malgré sa notoriété sur internet, il n’a jamais produit pour des gros noms de la scène rap français : « Ce qui est fou avec ce format c’est que tu places tes production chez plein de monde mais ce sont la plupart du temps des inconnus. Grâce aux Type-beats, tu peux te faire un nom et une vraie crédibilité dans le milieu sans jamais placer pour des artistes écoutés ». C'est précisément ce qui fait la particularité de cette scène : elle s’est construite autour d’un noyau d’artistes inconnus du grand public, tous débutants ou presque. Mais réunis par une passion et une envie commune : celle de faire de la musique avant tout.

Roshi Killa

A l'origine, le type beat s'est développé en France pour répondre à une forte demande.

Au milieu des années 2010, le rap français assiste à un vrai renouveau - on parle de cette période comme le second âge d’or du genre - et tandis que le nombre d’auditeurs grimpe en flèche, ses rappeurs en herbe sont eux aussi de plus en plus nombreux. Et ils ont à l’époque besoin d’une chose : des instrumentales accessibles en ligne, pour un prix qui dépasse très, très rarement la valeur d’une assiette kebab, comme l’explique Roshikilla

“ J’ai toujours voulu rendre mes morceaux accessibles. Pendant longtemps, je vendais la prod en .mp3 pour 20$, en format .wav pour 35$, les pistes séparées pour 90$ et une prod en exclusivité pour 200$. Je vendais pas mal et il m’est arrivé de gagner jusqu’à 2000 $ par mois.

Pourtant, les deux scènes du beatmaking, celles du Type-Beat et celles des placements ont peu de contacts et se parasitent rarement. Certes il y a eu le cas de PNL, à qui SKBD a vendu une production pour quelques dollars, mais les type beats s'adressent d'abord à un autre public que les artistes de renom : ils sont calibrés pour des artistes plus amateurs, qui cherchent bien souvent un terrain de jeu adapté à leurs goûts musicaux pour pouvoir poser leur voix. Les producteurs peuvent donc vendre et revendre la même production à plusieurs petits artistes, tandis que les gros artistes et leurs labels cherchent des productions exclusives sur mesure mais beaucoup plus onéreuses. Et c'est ça qui a permi aux compositeurs de Type-beat de se faire un nom, tout en développant leur propre espace de création. 

Sans le Top Album

En ayant bâti leur propre économie sur internet, ces compositeurs ont prouvé qu’il était possible de vivre du beatmaking sans avoir les clés des studios parisiens ni les contacts privilégiés de gros artistes. Une symbolique forte qui raconte une autre histoire que celle des producteurs devenus les architectes du Top Album : vivre de sa musique en tant que beatmaker reste possible même en se tenant éloigné de l'industrie traditionnelle.
 Pourtant, même dans cet espace de liberté, les règles du jeu restent cruelles : l’offre des type beats est si importante qu’il faut savoir défier la concurrence. Pour Yuno, compositeur pour derrière les titres de Realo et Worsty, il faut savoir faire la différence :

“ Il y a tellement de gens qui proposent du contenu sur plusieurs plateformes que beaucoup misent sur le visuel. Se faire une place dans ce milieu de compositeurs si t’es pas investi à fond sur tous les aspects, et en particulier le visuel, c’est plus dur.

Roshikilla confirme :

“ Il y a en effet aspect marketing dans ce métier. Tu fais des offres limitées, des promotions, tu travailles des visuels accrocheurs : c’est comme ça que tu peux te démarquer de la concurrence. Et elle est rude.

A la suite d'un piratage de sa chaîne YouTube qu'il n'a pas pu sauver, Roshikilla a aujourd'hui arrêté de produire des type beats.

Il officie désormais sous le nom d'artiste Madani, et pose désormais sa voix sur ses propres productions au travers de morceaux de plus en plus remarqués. Mais la relève est en marche : sur YouTube, des compositeurs de talent comme Lil Chick et Tsukii publient désormais des Type Beat inspirés des figure de proue de la nouvelle génération, de Luther à Khali en passant par Rouhnaa, Malo, Ajna et l’inévitable La Fève. Une nouvelle génération  de compositeurs qui continue de faire vivre cette économie aussi unique que fragile, loin des signatures en maison de disque et des productions calibrées pour le Top 50. Et rien que pour ça, c'est évidemment une belle histoire qui méritait d'être racontée. 

Fully maximize the potential of AI in commercial projects

Les compositeurs de Type-Beat ont créé une nouvelle économie, capable de vivre en marge de la sacem et de L’industrie traditionnelle. 

C’est un parcours musical devenu presque classique. Au détour d’une session studio, d’un mail rempli d’instrumentales ou d’une rencontre fortuite, bon nombre de producteurs et productrices comme Benjay, Meel B ou encore Boumidjal ont réussi à se frayer une place de choix dans les charts grâce à leurs placements  respectifs pour Damso, Maureen ou encore Jul. Mais cette histoire, on la connaît. 

Depuis quelques années, le parcours des beatmakers est relativement bien documenté et mis en avant dans les médias spécialisés voire traditionnels, et décrit souvent cette même ascension : de la chambre d’adolescents aux disques de diamants.

Pourtant, dans la composition, les trajectoires sont multiples. Et une scène d’artistes installés depuis près de dix ans ont réussi à le prouver, en construisant un espace artistique en marge de l’industrie. Loin des artistes à succès, de la sacem et des projecteurs, focus sur celles et ceux qui composent les Type-Beats, ces instrumentales gratuites ou accessibles pour une poignée d’euros, et en quoi ils sont bâti à bout de bras leur propre économie.

Génération internet

Dans les années 2010 en France, Youtube a vu se développer un nouveau format musical : le type beat, soit une façon de composer « à la manière de ». Devenues hyper populaires, cumulant parfois des millions de vues, ces productions ont peu à peu envahi la culture rap de l’époque en surfant sur la popularité des artistes en vogue. Le but ? Proposer à un nombre croissant de rappeurs et rappeuses des instrumentales à des prix dérisoires qui allaient devenir la matière première de leurs maquettes, voire l'instrumentale définitive de leurs morceaux. Dont certains sont devenus des hits intemporels. C'est le cas chez PNL avec Le monde ou rien, un titre dont la production a été achetée par les deux frères entre 20$ et 40$ à un certain MKSB, compositeur californien derrière un des nombreux type beats de The Weeknd.

Si le phénomène type beat s'est bien installé au cours des années 2010 aux État-unis, il est resté timide en France. Mais à partir de 2015, plusieurs beatmakers ont décidé d’importer la tendance de notre côté de l’atlantique avec une idée en tête : les cuisiner à la sauce rap français. Parmi eux, le beatmaker Roshikilla s'est fait remarquer avec des centaines de productions

“ J’ai toujours été hyper observateur de ce qui se faisait aux States, je kiffais les Drake Type beats, les Asap Rocky Type beat et j’ai décidé de faire la même chose en France avec des artistes à l’époque émergents, comme Josman, Laylow ou Zola. C’était pas forcément développé et ça a explosé.

Avec plus de dix mille abonnés sur sa chaîne Youtube, des centaines de milliers de vues au compteur, Roshikilla s’est imposé comme l’un des leaders de la composition des type beat en France. Pourtant, malgré sa notoriété sur internet, il n’a jamais produit pour des gros noms de la scène rap français : « Ce qui est fou avec ce format c’est que tu places tes production chez plein de monde mais ce sont la plupart du temps des inconnus. Grâce aux Type-beats, tu peux te faire un nom et une vraie crédibilité dans le milieu sans jamais placer pour des artistes écoutés ». C'est précisément ce qui fait la particularité de cette scène : elle s’est construite autour d’un noyau d’artistes inconnus du grand public, tous débutants ou presque. Mais réunis par une passion et une envie commune : celle de faire de la musique avant tout.

Roshi Killa

A l'origine, le type beat s'est développé en France pour répondre à une forte demande.

Au milieu des années 2010, le rap français assiste à un vrai renouveau - on parle de cette période comme le second âge d’or du genre - et tandis que le nombre d’auditeurs grimpe en flèche, ses rappeurs en herbe sont eux aussi de plus en plus nombreux. Et ils ont à l’époque besoin d’une chose : des instrumentales accessibles en ligne, pour un prix qui dépasse très, très rarement la valeur d’une assiette kebab, comme l’explique Roshikilla

“ J’ai toujours voulu rendre mes morceaux accessibles. Pendant longtemps, je vendais la prod en .mp3 pour 20$, en format .wav pour 35$, les pistes séparées pour 90$ et une prod en exclusivité pour 200$. Je vendais pas mal et il m’est arrivé de gagner jusqu’à 2000 $ par mois.

Pourtant, les deux scènes du beatmaking, celles du Type-Beat et celles des placements ont peu de contacts et se parasitent rarement. Certes il y a eu le cas de PNL, à qui SKBD a vendu une production pour quelques dollars, mais les type beats s'adressent d'abord à un autre public que les artistes de renom : ils sont calibrés pour des artistes plus amateurs, qui cherchent bien souvent un terrain de jeu adapté à leurs goûts musicaux pour pouvoir poser leur voix. Les producteurs peuvent donc vendre et revendre la même production à plusieurs petits artistes, tandis que les gros artistes et leurs labels cherchent des productions exclusives sur mesure mais beaucoup plus onéreuses. Et c'est ça qui a permi aux compositeurs de Type-beat de se faire un nom, tout en développant leur propre espace de création. 

Sans le Top Album

En ayant bâti leur propre économie sur internet, ces compositeurs ont prouvé qu’il était possible de vivre du beatmaking sans avoir les clés des studios parisiens ni les contacts privilégiés de gros artistes. Une symbolique forte qui raconte une autre histoire que celle des producteurs devenus les architectes du Top Album : vivre de sa musique en tant que beatmaker reste possible même en se tenant éloigné de l'industrie traditionnelle.
 Pourtant, même dans cet espace de liberté, les règles du jeu restent cruelles : l’offre des type beats est si importante qu’il faut savoir défier la concurrence. Pour Yuno, compositeur pour derrière les titres de Realo et Worsty, il faut savoir faire la différence :

“ Il y a tellement de gens qui proposent du contenu sur plusieurs plateformes que beaucoup misent sur le visuel. Se faire une place dans ce milieu de compositeurs si t’es pas investi à fond sur tous les aspects, et en particulier le visuel, c’est plus dur.

Roshikilla confirme :

“ Il y a en effet aspect marketing dans ce métier. Tu fais des offres limitées, des promotions, tu travailles des visuels accrocheurs : c’est comme ça que tu peux te démarquer de la concurrence. Et elle est rude.

A la suite d'un piratage de sa chaîne YouTube qu'il n'a pas pu sauver, Roshikilla a aujourd'hui arrêté de produire des type beats.

Il officie désormais sous le nom d'artiste Madani, et pose désormais sa voix sur ses propres productions au travers de morceaux de plus en plus remarqués. Mais la relève est en marche : sur YouTube, des compositeurs de talent comme Lil Chick et Tsukii publient désormais des Type Beat inspirés des figure de proue de la nouvelle génération, de Luther à Khali en passant par Rouhnaa, Malo, Ajna et l’inévitable La Fève. Une nouvelle génération  de compositeurs qui continue de faire vivre cette économie aussi unique que fragile, loin des signatures en maison de disque et des productions calibrées pour le Top 50. Et rien que pour ça, c'est évidemment une belle histoire qui méritait d'être racontée. 

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