
Il y a, dans les images de Maï Lucas, une façon de saisir les instants qui passent souvent inaperçus. Son travail observe le hip-hop comme une réalité vécue, ancrée dans les relations, les gestes du quotidien, et la manière dont la communauté construit son identité.
All Eyes On Me réunit plus de vingt ans d’images, sans volonté de glorifier ou de dramatiser, mais pour restituer une réalité vécue : celle d’un mouvement façonné par les gens qui le portent.
Ce regard, elle le poursuit aujourd’hui à Paris avec une exposition présentée à la Tour Saint-Jacques, du 8 décembre au 31 janvier.

RDKL “All Eyes On Me” rassemble des images prises entre 1990 et 2010. Qu’est-ce qui t’a donné envie de revenir sur ces années-là et de les réunir aujourd’hui ?
Maï Lucas C’est un travail que j’ai suivi pendant plus de vingt ans. Dernièrement, le hip-hop a changé et cette culture de rue s’est transformée… J’ai donc senti que j’étais arrivée au bout de ce long travail. Je ne l’avais jamais montré auparavant : je n’avais pas trouvé le bon médium pour le faire. Ce livre est un témoignage intime de cette culture hip-hop et de la jeunesse des quartiers populaires de New York. Aujourd’hui, j’ai enfin trouvé un éditeur sensible à ce projet et All Eyes On Me rencontre un bel accueil aux États-Unis. Les gens retrouvent des images sincères qui montrent la force de ces cultures, loin des clichés réducteurs sur la drogue, les gangs ou la violence. Bien sûr ces réalités existent, mais ce n’est pas l’essence de ce qui définit ces communautés.

Tes photos capturent l’essence du hip-hop new-yorkais afro-américain et hispanique. Comment décrirais-tu l’énergie de cette époque, telle que tu l’as vécue ?
L’énergie était magnifique : à cette époque, tout le monde pouvait briller. Même avec peu de moyens, on pouvait s’affirmer : baskets, Timberlands, jeans, survêtements, chaînes en or... La rue était pleine de jeunes fiers, confiants, avec du style et de l’attitude. C’était accessible.
Tu as photographié la culture hip-hop avant qu’elle ne devienne une industrie. Comment as-tu vécu cette transition vers quelque chose de plus mainstream et populaire
Pour moi, c’est dur de voir le hip-hop lié aux marques de luxe. Le hip-hop, c’est avant tout une culture qui rassemble, qui doit rester accessible. Pour beaucoup de communautés afro-américaines ou latino à New York, gagner sa vie tout en vivant avec leur communauté était déjà un défi. L’arrivée de logos de luxe ou de marques hypes, a créé des barrières : ceux qui pouvaient suivre et les autres.
Aujourd’hui, dans ces quartiers, peu peuvent s’offrir du Gucci… Et l’attitude, la fierté, le feeling, tout cela change. C’est triste.


Qu’aimerais-tu que les lecteurs ressentent en ouvrant “All Eyes On Me” : de la nostalgie, de la mémoire, ou quelque chose de plus universel ?
J’aimerais surtout qu’ils arrêtent de fantasmer le hip-hop ou les cultures afro-américaines à travers des clichés dramatiques (drogue, gangs, violence). Qu’ils voient qu’au-delà de la dureté, il y a de l’humanité : entraide, solidarité, familles, la vie quotidienne, des rêves, des peines, des joies. C’est une vie digne, des gens vrais. Moi, j’ai vécu la chaleur, l’amitié et j’ai tissé des liens forts avec nombre des personnes que j’ai photographiées.
Il y a une vraie tendresse dans tes photos, même au coeur d’un univers souvent perçu comme dur. Est-ce que c’était intentionnel ou simplement instinctif ?
C’est réellement le thème central de mon travail. Ce que j’ai vu souvent quand je travaillais avec eux, c’est cette culture “alpha male” qui, derrière une façade dure, cache en réalité des hommes sensibles, vulnérables. Le hip-hop a ce côté tendre.
Aux États-Unis, j’ai constaté que beaucoup d’hommes sont protecteurs, respectueux ce qui change des clichés qu’on peut en avoir ailleurs. Les hommes que j’ai photographiés m’ont toujours montré du respect, m’ont encouragée dans ce long projet.
Il y avait de la solidarité, de l’entraide, un vrai sentiment communautaire.

Qu’est-ce qui déclenche, pour toi, le moment où tu décidais d’appuyer sur le déclencheur ?
Quand le “feeling” passe… quand la magie est là. C’est ce moment précis où tu ressens l’énergie, l’authenticité, l’instant et tu sais qu’il faut capturer ça.
Aujourd’hui, qu’est-ce que tu as envie de photographier ? Qu’est-ce qui t’attire à ce moment de ta vie ?
Aujourd’hui, je continue à photographier la jeunesse, partout dans le monde. Ce qui m’attire, c’est l’authenticité, ce moment de la vie où l’on se sent invincible, quand tout paraît possible. L’énergie, l’insouciance, l’espoir…
Et pour finir : pour toi, qui est “Radikal” ?
Radikal, c’est quelqu’un qui n’écoute que sa propre tête et se moque de ce que la société “attend” de lui. Mais si je devais citer quelqu’un, je dirais: Bonnie banane
Retrouve All Eyes On Me
Tu peux aussi découvrir son oeuvre Hip Hop Diary of a Fly Girl


