Lille, le rap d'en haut

Lille, le rap d'en haut

8 octobre 2025

par Maxime Delcourt

par Maxime Delcourt

par Maxime Delcourt

La région Hauts-de-France ne se résume pas à ses célèbres briques rouges, ses terrils ses zones industrielles sous la pluie, loin de là. Ses villes principales comme Lille, Roubaix, Tourcoing ou encore Dunkerque regorgent de rappeurs et compositeurs talentueux, soutenus par des lieux et des organismes conçus pour durer. Reportage.

Photo : @cr.lihlo

Un dimanche de 1984, toute l'équipe de H.I.P H.O.P., la toute première émission télévisée consacrée aux hip-hop est réunie à Lille sur la place de la République, où se rassemblent pour l'occasion b-boys et b-girls des environs. La foule est clairsemée et l'émission peu mémorable, mais elle fait date. Mieux : elle acte l'idée que la scène hip-hop française ne se limite pas aux seuls territoires parisiens et marseillais.

Quarante ans plus tard, fin 2023, c'est un autre moment important qui se joue à quinze kilomètres de là, à Roubaix, où la fine fleur du rap de la région des Hauts-de-France fait œuvre commune au sein du mythique musée La Piscine, où est enregistrée l'édition #59 de Grünt avec Sto, Bekar et BEN plg, au micro, mais aussi Lucci’ et Lowonstage côté productions. « On avait évoqué l’idée de tourner cette session dans le métro, dans les vestiaires du LOSC, sur la Grand’Place de Lille ou dans une galerie », resitue Bekar.

"En dernière minute, mon manager, Raphaël, a toutefois réussi à convaincre La Piscine, ce qui en dit long sur le respect que nous portent désormais les institutions."

Sidney - Générique de l'émission HIP HOP

Indirectement, ce freestyle rappelle que la scène nordiste ne se résume pas à la seule agitation culturelle lilloise : de Roubaix (ZKR, Bekar) à Tourcoing (Gips, BEN plg) en passant par Dunkerque (Rethno, Veerus), c’est toute la région qui avance à la même cadence. Dans le clip de Dacia Logan, BEN plg, désormais installé à Lille, pose d'ailleurs fièrement sur la digue du Braek, à Dunkerque. Lieu insolite qui a également servi de lieu de tournage à Notre jour viendra, de Romain Gavras.

VRAIE MIXITÉ

Au fond, rien d'étonnant : BEN plg a pris l'habitude de mentionner ou représenter les lieux qui ont marqué son parcours. La pochette de Dans nos yeux ? Shootée dans un kebab de Wazemmes, avec, comme figurants (un sans-abri, une femme travaillant dans un établissement pour personnes victimes de handicaps), uniquement des figures de ce quartier « représentatif d’une vraie mixité ». Le titre Rue des Postes ? Une référence à l'une des artères principales reliant les quartiers populaires au centre-ville lillois. Le clip de Trucs sentimentaux, en duo avec Limsa D’Aulnay ? Tourné au Kebab House, référence du quartier Moulins. À quelques pas de là, est également installé Le Flow, premier établissement entièrement consacré aux cultures urbaines en France, dont le local poubelles a servi de décor au clip de Mauvaise nouvelle, diffusé dans la foulée du passage de Ben PLG dans Nouvelle école.

Photo : @colorsxstudios

À la manière des rappeurs parisiens, qui posent au sommet de la tour Eiffel, s'assoient sur l'arc de Triomphe ou évoquent les soirées de la rue de la Roquette quand « les soulards refont la prise de la Bastille », les artistes du Nord revendiquent eux-aussi la particularité de leur environnement. Sans tomber dans le côté folklorique de Kamini, en assumant simplement une rap de proximité en phase avec une réalité locale, quitte à revendiquer l’influence des briques rouges et des architectures industrielles, de ce ciel gris et des températures glaciales quelques semaines dans l'année – « zéro degré dans les veines » est même devenu le mantra de 0 Degré, l'une des dernières formations à émerger du coin, aperçue récemment sur la scène du Flow en première partie d'un concert réunissant Infinit’ et Jewel Usain.

EN BANDE ORGANISÉE

Depuis sa création en 2014, le Flow, organe public de développement et de professionnalisation, joue un rôle central dans le développement du rap local. Beaucoup d'artistes y ont effectué des résidences ou bénéficié d’accompagnement artistique, d’autres y ont donné leur premier concert, comme Krilino. « Cette salle est clairement un lieu pivot pour nous tous », affirme BEN plg.

"Bien avant de péter, ZKR était déjà dans le giron de l’équipe, qui a toujours essayé de faire quelque chose pour quasiment tout le monde. Ça a lancé des carrières."

Si le Flow est loin d'être le seul lieu à participer à cette effervescence - citons un bar comme le Riddim Wazemmes, le studio de Lucci' ou Audioblend à Roubaix. « Quand je suis à Lille, je suis souvent en répétition au Flow, c’est ma base, l’endroit où l’on m’a pour la première fois ouvert les portes artistiques », confirme Eesah Yasuke, consciente d’avoir bénéficié d’un réel accompagnent, notamment via du coaching vocal et des résidences pour perfectionner ses performances scéniques.

"Très vite, ça a débouché sur une victoire nationale au Buzz Booster, le prix du Printemps de Bourges en 2022, un premier EP, Cadavre exquis, et de nombreuses dates dans toute la France, en solo ou en première partie d'artistes prestigieux comme Kery James, Josman, ou encore Georgio. C’est ce qu’on appelle un démarrage en beauté"

LABELS & STUDIOS

Contrairement à ce qui se jouait il y a encore une dizaine d’années, quand des rappeurs locaux comme Paranoyan et Feini-X Crew semblaient condamnés à assurer les premières parties de grands noms hexagonaux, la donne a aujourd’hui changé. En décembre dernier, Bekar est ainsi devenu le premier rappeur de la région à remplir l’Aéronef, devant 2000 spectateurs et spectatrices, avant d’enchaîner en 24 janvier 2026 avec le Zénith de Lille, devant une salle de 7000 places. Une étape historique pour un rappeur du plat pays, qui avoue cependant passer plus de temps à Paris, « là où on côtoie plus de beatmakers et de studios » mais aussi une déclaration d’intention, une manière de dire aux rappeurs des environs qu’il est possible ici de se construire artistiquement. Comme l’avance BEN plg :

"Quand tu vois que j’ai mon label, Pour la gloire, que Sto a Brotherhood et que Bekar a NorthFace Records, tu comprends que l’on a appris à se structurer. Ça pose des modèles sur lesquels les nouvelles générations peuvent construire. "

FLOW : coulisses du centre de cultures urbaines

À l’inverse du Roubaisien Gradur qui, malgré un succès mainstream, n’a pas créé une réelle dynamique, il semble en effet que la tendance se soit inversée peu à peu. Désormais, le disque d'or de ZKR, affiché sur la façade d'un ancien bowling local, l'album Plus fort que l'orage de Bekar (réédité en mars sous le nom Plus fort), les collaborations du beatmaker Riley Beatz avec Jul et Niska ou les relais médiatiques autour des projets de BEN plg ou Sofiane Pamart ont fini par donner confiance à la scène locale. Un appel d’air dans lequel s’engouffrent fièrement Dafliky, Jaymee, Konga ou encore Gapman. « Y’a d’la lumière sur moi, j’me mettrai pas à l’ombre », clame ce dernier dans Marathon. Preuve que la scène locale avance désormais avec de nouvelles certitudes.


Texte par Maxime Delcourt.
Cover par Antonin Nkruma

La région Hauts-de-France ne se résume pas à ses célèbres briques rouges, ses terrils ses zones industrielles sous la pluie, loin de là. Ses villes principales comme Lille, Roubaix, Tourcoing ou encore Dunkerque regorgent de rappeurs et compositeurs talentueux, soutenus par des lieux et des organismes conçus pour durer. Reportage.

Photo : @cr.lihlo

Un dimanche de 1984, toute l'équipe de H.I.P H.O.P., la toute première émission télévisée consacrée aux hip-hop est réunie à Lille sur la place de la République, où se rassemblent pour l'occasion b-boys et b-girls des environs. La foule est clairsemée et l'émission peu mémorable, mais elle fait date. Mieux : elle acte l'idée que la scène hip-hop française ne se limite pas aux seuls territoires parisiens et marseillais.

Quarante ans plus tard, fin 2023, c'est un autre moment important qui se joue à quinze kilomètres de là, à Roubaix, où la fine fleur du rap de la région des Hauts-de-France fait œuvre commune au sein du mythique musée La Piscine, où est enregistrée l'édition #59 de Grünt avec Sto, Bekar et BEN plg, au micro, mais aussi Lucci’ et Lowonstage côté productions. « On avait évoqué l’idée de tourner cette session dans le métro, dans les vestiaires du LOSC, sur la Grand’Place de Lille ou dans une galerie », resitue Bekar.

"En dernière minute, mon manager, Raphaël, a toutefois réussi à convaincre La Piscine, ce qui en dit long sur le respect que nous portent désormais les institutions."

Sidney - Générique de l'émission HIP HOP

Indirectement, ce freestyle rappelle que la scène nordiste ne se résume pas à la seule agitation culturelle lilloise : de Roubaix (ZKR, Bekar) à Tourcoing (Gips, BEN plg) en passant par Dunkerque (Rethno, Veerus), c’est toute la région qui avance à la même cadence. Dans le clip de Dacia Logan, BEN plg, désormais installé à Lille, pose d'ailleurs fièrement sur la digue du Braek, à Dunkerque. Lieu insolite qui a également servi de lieu de tournage à Notre jour viendra, de Romain Gavras.

VRAIE MIXITÉ

Au fond, rien d'étonnant : BEN plg a pris l'habitude de mentionner ou représenter les lieux qui ont marqué son parcours. La pochette de Dans nos yeux ? Shootée dans un kebab de Wazemmes, avec, comme figurants (un sans-abri, une femme travaillant dans un établissement pour personnes victimes de handicaps), uniquement des figures de ce quartier « représentatif d’une vraie mixité ». Le titre Rue des Postes ? Une référence à l'une des artères principales reliant les quartiers populaires au centre-ville lillois. Le clip de Trucs sentimentaux, en duo avec Limsa D’Aulnay ? Tourné au Kebab House, référence du quartier Moulins. À quelques pas de là, est également installé Le Flow, premier établissement entièrement consacré aux cultures urbaines en France, dont le local poubelles a servi de décor au clip de Mauvaise nouvelle, diffusé dans la foulée du passage de Ben PLG dans Nouvelle école.

Photo : @colorsxstudios

À la manière des rappeurs parisiens, qui posent au sommet de la tour Eiffel, s'assoient sur l'arc de Triomphe ou évoquent les soirées de la rue de la Roquette quand « les soulards refont la prise de la Bastille », les artistes du Nord revendiquent eux-aussi la particularité de leur environnement. Sans tomber dans le côté folklorique de Kamini, en assumant simplement une rap de proximité en phase avec une réalité locale, quitte à revendiquer l’influence des briques rouges et des architectures industrielles, de ce ciel gris et des températures glaciales quelques semaines dans l'année – « zéro degré dans les veines » est même devenu le mantra de 0 Degré, l'une des dernières formations à émerger du coin, aperçue récemment sur la scène du Flow en première partie d'un concert réunissant Infinit’ et Jewel Usain.

EN BANDE ORGANISÉE

Depuis sa création en 2014, le Flow, organe public de développement et de professionnalisation, joue un rôle central dans le développement du rap local. Beaucoup d'artistes y ont effectué des résidences ou bénéficié d’accompagnement artistique, d’autres y ont donné leur premier concert, comme Krilino. « Cette salle est clairement un lieu pivot pour nous tous », affirme BEN plg.

"Bien avant de péter, ZKR était déjà dans le giron de l’équipe, qui a toujours essayé de faire quelque chose pour quasiment tout le monde. Ça a lancé des carrières."

Si le Flow est loin d'être le seul lieu à participer à cette effervescence - citons un bar comme le Riddim Wazemmes, le studio de Lucci' ou Audioblend à Roubaix. « Quand je suis à Lille, je suis souvent en répétition au Flow, c’est ma base, l’endroit où l’on m’a pour la première fois ouvert les portes artistiques », confirme Eesah Yasuke, consciente d’avoir bénéficié d’un réel accompagnent, notamment via du coaching vocal et des résidences pour perfectionner ses performances scéniques.

"Très vite, ça a débouché sur une victoire nationale au Buzz Booster, le prix du Printemps de Bourges en 2022, un premier EP, Cadavre exquis, et de nombreuses dates dans toute la France, en solo ou en première partie d'artistes prestigieux comme Kery James, Josman, ou encore Georgio. C’est ce qu’on appelle un démarrage en beauté"

LABELS & STUDIOS

Contrairement à ce qui se jouait il y a encore une dizaine d’années, quand des rappeurs locaux comme Paranoyan et Feini-X Crew semblaient condamnés à assurer les premières parties de grands noms hexagonaux, la donne a aujourd’hui changé. En décembre dernier, Bekar est ainsi devenu le premier rappeur de la région à remplir l’Aéronef, devant 2000 spectateurs et spectatrices, avant d’enchaîner en 24 janvier 2026 avec le Zénith de Lille, devant une salle de 7000 places. Une étape historique pour un rappeur du plat pays, qui avoue cependant passer plus de temps à Paris, « là où on côtoie plus de beatmakers et de studios » mais aussi une déclaration d’intention, une manière de dire aux rappeurs des environs qu’il est possible ici de se construire artistiquement. Comme l’avance BEN plg :

"Quand tu vois que j’ai mon label, Pour la gloire, que Sto a Brotherhood et que Bekar a NorthFace Records, tu comprends que l’on a appris à se structurer. Ça pose des modèles sur lesquels les nouvelles générations peuvent construire. "

FLOW : coulisses du centre de cultures urbaines

À l’inverse du Roubaisien Gradur qui, malgré un succès mainstream, n’a pas créé une réelle dynamique, il semble en effet que la tendance se soit inversée peu à peu. Désormais, le disque d'or de ZKR, affiché sur la façade d'un ancien bowling local, l'album Plus fort que l'orage de Bekar (réédité en mars sous le nom Plus fort), les collaborations du beatmaker Riley Beatz avec Jul et Niska ou les relais médiatiques autour des projets de BEN plg ou Sofiane Pamart ont fini par donner confiance à la scène locale. Un appel d’air dans lequel s’engouffrent fièrement Dafliky, Jaymee, Konga ou encore Gapman. « Y’a d’la lumière sur moi, j’me mettrai pas à l’ombre », clame ce dernier dans Marathon. Preuve que la scène locale avance désormais avec de nouvelles certitudes.


Texte par Maxime Delcourt.
Cover par Antonin Nkruma

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