
Il est de ceux qui prennent le temps. Le temps de construire une proposition, le temps de s’améliorer, le temps de mettre un pied devant l’autre.
Car Mairo ne court pas : comme sa maman qui traversa le désert du Sahara pour fuir la dictature dans son Érythrée natale, comme cette femme qui n’a jamais cessé d’avancer malgré sa patte brisée, ou comme un certain Omar Chappier, Mairo marche, et avance sûrement. Depuis ses premiers pas dans la musique il y a près de 15 ans, le Genevois n’a cessé de faire mûrir sa musique, jusqu’à se hisser comme un artiste complet, situé quelque part entre les innovations digitales du rap contemporain et les codes historiques d’un genre qu’il ne cesse de chérir. Une recette qui fait toute la saveur de son premier album dévoilé au début de l’année 2025, LA FIEV, en collaboration avec son compositeur et frère jumeau Hopital. Des mois après cette sortie, retour avec le prodige helvète sur ces années de labeur qui lui ont permis de construire, pas à pas, une indépendance qu’il peut aujourd’hui fièrement revendiquer.
RDKL On est trop contents de t’accueillir ici, surtout qu’on connaît ton appétence pour les magazines rap. Tu as dédié un morceau aux Rap Mag, et dans Merci bonne journée tu racontes avoir diggé la culture en volant ces fameux magazines. Rassure-nous, tu as déjà volé des RADIKAL aussi ?
M Sacré souvenir ça ! J’en suis pas fier. C’était en classe de neige, je me suis fait poucave par les autres élèves. Je suis sorti du magasin avec le magazine dans le froc, et je crois que certaines filles de la classe ont pas aimé que je m’en sorte bien. Elles sont allées le dire à la prof, et ma mère m’a tiré les oreilles. J’ai passé un sale moment. Mais j’ai jamais volé de RADIKAL non, j’ai découvert le mag bien après.
Au moment où on se parle, ça fait un peu plus de 3 mois que LA FIEV est sorti. Comment tu te sens, une fois l’agitation retombée autour de cette sortie ? Content des retours ?
Très content des retours, il a été super bien accueilli. En ce moment on le défend beaucoup sur scène, on a fait une grosse tournée, on est allés faire un concert à FIP Radio, un sur Arte pour l’émission Dans le Club. On a fait un clip aussi, le but c’était d’en faire plusieurs. Mais bon après, tu connais. Les clips, tu réfléchis à deux fois avant d’en faire un. C’est engageant, ça coûte un bras. On pensait à clipper i.think.
Pourquoi i.think ?
Finalement c’est mon morceau préféré ! Et c’est l’un de ceux qui a été le mieux reçu il me semble, celui que les gens comprennent le plus. Alors qu’avec Hôpital, quand on a fait Nitro LA FIEV, le morceau d’intro, on se disait que c’était le son de l’album. Finalement, il y a moins de gens qui se le sont pris que ce que je pensais. Mais c’est comme ça, c’est le public qui décide.
Mairo - i.think
Quand l’album est sorti, on a rapidement parlé de ce track, i.think, et aussi surtout de son instrumentale, très influencée par le genre Baltimore Club. Pour vous, avec Hôpital, est-ce que l’objectif c’était de ramener ces sonorités club des années 90 dans le rap français ?
C’était pas du tout conscientisé comme ça. On aurait pu se le dire, que c’était le premier morceau Bmore du rap français ! En fait, quand Hopital il a fait la prod, je savais que ça s’approchait de ces sonorités, mais perso je connaissais pas tant que ça ce genre, ni ses artistes. Quand il m’a expliqué, je me suis informé et c’était grave intéressant de le découvrir, mais quand on fait cette démarche-là on est pas du tout en mode : « voilà ce qui a été fait dans le rap, il manque de la Bmore donc on va en faire ». Dans tous les cas, je suis trop content que les gens se soient pris ce son parce que c’était une prise de risque ! blccd tears aussi c’en était une, faire un track comme ça à la PinkPantheress…

Photo : Nathan Saillet @nathan.saillet
On trouvait ça hyper logique de t’accueillir ici. Radikal c’est un magazine des années 90, qui a documenté la culture rap de l’époque, et c’est une période musicale que tu as beaucoup écoutée et qui déteint aussi dans ta proposition. Mais ce qui est intéressant, c’est que tu es bien plus que ça : tu collabores autant avec Oxmo Puccino qu’avec Implaccable, c’est un grand écart que peu sont capables de faire. Est-ce que cette identité à mi-chemin entre deux écoles c’est une posture qui te convient ?
Je me reconnais dedans. Après que ça m’aille ou pas, j’y peux pas grand chose : ça, c’est le public qui le décide. Mais c’est un fait. Je suis autant connecté avec Implacable et Realo qu’avec des gens qui appartiennent à d’autres époques. C’est quelque chose qui se retrouve pas mal sur LA FIEV, tu peux très bien le capter ! En écoutant l’album, tu peux passer de température, un morceau très rap, très boom-bap, à blccd tears par exemple. Est-ce que ça me va ? J’ai pas le choix, mais c’est vrai que c’est ce que je suis. Parfois, je me dis que telle phase parlera plus aux anciens, et que telle phase parlera plus aux petits. Mais j’ai juste envie de suivre mon instinct, sans penser à qui me comprendra.
Tu t’es déjà dit que tu voulais faire un morceau en t’adressant à des gens en particulier ? Une tranche d’âge, ou une personne même.
Hmm. C’est une bonne question. Quand je fais la Patte Brisée, par exemple, je sais que je suis pas en train de l’écrire pour que ma mère l’écoute. Je le pose pas pour m’adresser à elle directement.
"Quand je fais quelque chose, c’est destiné à tout le monde. Après, je suis pas dans une démarche de parler à tout le monde de 7 à 77 ans. Ça aurait pas vraiment de sens, tu peux pas prévoir à qui ça va parler. De toute manière, dans toute ma carrière, j’ai jamais réussi à vraiment prévoir quoi que ce soit."
Mairo - la patte brisée
Ton métier aussi, celui d’auteur et interprète, c’est un métier assez spécial. Pour produire des textes, tu as besoin de vivre, de te remplir, avant pour pouvoir livrer tout ça dans un morceau. À quel point tu as besoin de faire des pauses dans ce métier, pour pouvoir continuer à créer ?
En vrai, je m’écarte jamais vraiment de la musique. Quand je débranche, je me débranche de tout, sauf de la musique. Par exemple, quand j’ai voyagé en Thaïlande, je suis en train de faire un clip avec Jungle Jack. Et en même temps je prépare mon Grünt. Je suis pas du tout en pause, je travaille, même si je suis à la plage, mais je travaille quand même ! Depuis que je suis Mairo, depuis que je suis R-Karah, je prends pas de pauses. Même quand je pense à retourner en Thaïlande, c’est pour écrire. Je mets en pause les mails, les collaborateurs, mais jamais vraiment les projets.
Ça fait 15 ans que tu travailles, et t’as jamais eu envie de faire une vraie coupure ?
Non, et encore moins en ce moment. Après, parfois, il se passe 3 jours où je fais rien. Je réponds à personne, et je veux rien savoir. C’est un peu ça mes moments de pause. Dans ces moments là, j’ai pas envie d’arrêter la musique : c’est juste que j’ai plus la force d’en faire. Alors j’écris pas, j’ouvre pas mes messages, j’ai juste envie de me reposer et de regarder ma série. Je viens de me faire la saison 5 de Fargo là par exemple. Dinguerie.
Parfois, j’ai envie de sortir de ce schéma de WhatsApp, mails, FL studio. Je pense par exemple aller travailler dans les vignes, pour voir d’autres paysages, faire quelque chose de mes mains. Parce que ma réalité, elle est digitale. Je la kiffe cette vie mais c’est aussi celle qui m’angoisse parfois. Alors oui, je fais des petites pauses, je me recharge. C’est un luxe, parfois je me sens coupable de l’avoir. Mais je dois me reposer ! Quand j’enchaîne une tournée, des clips, du studio, la Cigale… c’est beaucoup ! Mes proches me le disent, que j’ai besoin de me reposer et que c’est normal.
"Je pourrai jamais arrêter, j’aime trop rapper. C’est ma mission sur cette terre. Si j’arrive plus à rapper, je vais faire quoi ?"

Photo : Nathan Saillet @nathan.saillet
Dans ta musique, il y a une personne que tu références énormément, je ne parle pas de Gims mais bien de toi-même. Dans Kill Bill par exemple, tu dis « j’ai eu quelques peines de cœur, mais après c’est le même Mairo », phrase que l’on retrouve 3 ans plus tard sur Crack Crack. Dans Submarine, ton premier clip en tant que Mairo, tu utilises un gimmick au tout début du morceau : Attentat Uzi, qui est aussi le titre de ton passage Colors sorti 4 ans plus tard. Il y a tout un jeu de référence entre tes morceaux, tu peux nous expliquer pourquoi tu t’auto-référence autant ?
Enfin, merci de le dire ! En fait, ça me fait kiffer. Si je fais une référence à un morceau à moi, c’est parce que c’est naturel, mes textes c’est aussi des pensées qui peuvent revenir. C’est des trucs bêtes, mais je continue mon œuvre en fait ! Tu vois par exemple, la phrase « Là j’ai rempli la Boule Noire, dieu seul sait ce qui m’attend » dans Rap Mag, je voulais le reprendre dans un autre morceau en disant : « Là j’ai rempli La Cigale, dieu seul sait ce qui m’attend ». Si je l’ai pensé à ce moment-là, cette phrase, c’est pas pour rien en vrai, donc j’aime bien les réutiliser, pour raconter la suite. Ça dessine une petite toile, mais elle est très subtile. Est-ce que ces références, elles peuvent se capter aux yeux de tout le monde, à part toi et moi ?
Musicalement, je te considère aussi comme un explorateur. Tu puises tes inspirations dans le rap, mais aussi dans beaucoup d’autres genres, comme par exemple sur Minuit, un morceau à l’instrumentale rock. Tu le dis d’ailleurs dans Paramount : « Soul, Rock, Jazz, N**** je sample partout ». Est-ce que toi, tu te reconnais dans cet adjectif d’explorateur musical ?
Hmmm. Avant explorateur, je mettrais le mot rappeur. Rappeur-explorateur, parce que j’explore avec mon âme de rappeur. Si j’étais simplement explorateur, ça se verrait beaucoup plus : un jour je serai The Weeknd, le lendemain Bad Bunny… C’est pas le cas. Je me reconnais plus dans l’adjectif rappeur-explorateur. Quand je vais sur Blccd tears ou I.Think, j’y vais quand même en rappant, je chantonne, mais je rappe aussi. Mais je me mets aucune limite ! Quand on dit Monde Libre, on parle de ça. Si quelqu’un arrive un jour à me retenir de faire un truc que j’ai envie de faire dans la musique, qu’il essaie ! Des fois, j’ai envie de pousser ma musique au-delà de mon ADN de rappeur. Parce qu’on est des rappeurs, mais on est pas que ça. Je pourraisi écrire pour des gens moi !
"Je me mets aucune limite ! Quand on dit Monde Libre, on parle de ça. Si quelqu’un arrive un jour à me retenir de faire un truc que j’ai envie de faire dans la musique, qu’il essaie !"
T’aimerais le faire ça, écrire pour les autres ?
Ça serait marrant, ça te permet d’avoir un autre point de vue, d’écrire des trucs que tu pourrais pas dire. Mais bon… il faudrait vraiment une grosse kichta à l’arrivée. Déductible d’impôts. Avec ça, je pense que je le ferai. Mais j’insiste : faut que ça me mette bien. J’ai déjà des trucs à faire, j’ai un projet. Je suis plus focus sur mes trucs.
Il y a eu une sortie aussi, il y a quelques mois…
Attends attends, laisse-moi deviner. Tu parles de Vald ?
Non, je parlais plus de ton morceau avec Oxmo.
Ahhh, j’avais pas compris que j’étais dedans. J’aurais kiffé parler d’autre chose que moi un peu.
Tu veux parler de Vald ?
Ouais ! Il est trop fort. Je kiffe de malade. Écoutez son album, il est incroyable.
À part Vald, t’écoute qui en ce moment ?
Vald. J’écoute Saya Gray aussi, et Oklou. L’outro de son album Choke Enough, Blade Bird…c’est trop. Si Dieu m’avait donné l’opportunité de faire ce morceau, j'aurais été trop heureux. Justement, ce genre de morceaux, c’est peut-être ceux qui vont me pousser à me transcender, et à aller ailleurs que le rappeur explorateur, et peut-être devenir juste un explorateur, loin du rap. J’aimerais avoir les skills. La prod me parle, sa prestation me parle, les mélodies me parlent. Le seul problème, c’est que c’est pas mon morceau. Saya Gray, pareil ! Tout son album, il me donne envie de faire du Saya Gray. Aller vers une musique qui est belle, qui fait du bien, j’aimerais trop. Ce que je sais pas faire, j’ai pas la formule. Je suis juste un putain de rappeur. Mais j’ai la sensibilité, et j’ai la déter d’essayer de faire de la musique comme elle en font. Je pense que j’arriverai jamais à leur niveau, mais j’espère. Sinon, Femtogo aussi, je le trouve trop trop fort. Son projet avec Neophron, FRANCS-TIREURS PARTISANS, il est trop puissant. Les 5 prods sont incroyables.
Retrouve l'interview complète dans Radikal Magazine 001 - [disponible ici]