TH, Le souci du détail

TH, Le souci du détail

9 octobre 2025

par Tim Levaché

par Tim Levaché

par Tim Levaché

Stupéfiant. Comme ses envolées qui prennent autant la forme d’une mélodie qu’un cri de rage, comme ses textes aux images aussi contrastées que percutantes et comme le produit qu’il écoulait en grande quantité, TH a quelque chose de stupéfiant.

Depuis ses premiers morceaux sortis sous le nom de T.H.O.R jusqu’à sa dernière mixtape Algorithme, rééditée en juillet dernier, TH a choisi la radicalité. Celle qui le pousse à explorer sa réappropriation de la trap, celle qui ne l’empêche pas d’hurler des menaces comme de susurrer des promesses, celle qui le caractérise et forge depuis plus de 8 ans une sonorité unique dans le rap francophone, entre une imposante brutalité et une grande sensibilité. De son obsession pour les détails en passant par son écriture imaginative jusqu’à la quête des vibrations, entretien exclusif avec l’un des rappeurs les plus passionnant de ces dernières années, qui se livre pour la première fois après 4 ans de silence médiatique. Rencontre avec un artiste qui évolue loin des normes. 



RDKL TH, bienvenue ! On est quelques mois après la sortie de ta dernière mixtape, Algorithme, et un an après la sortie de E-TRAP, la mixtape qui t’as installé comme l’un des talents les plus bruts de la scène française. Comment tu te sens à froid, après cette dernière sortie, et qu’est-ce qui a changé pour toi entre E-TRAP et Algorithme ?

TH On est très contents des retours et de ce qu’on a produit. Franchement, faire Algorithme c’était très… cool, très tranquille. On fonctionne en équipe, entre nous. Les sons tournent, j’ai des bons retours, je vois le public chanter les paroles. Sinon, ce qui a changé en vrai, c’est que mes sons sont devenus plus intimes, les sonorités aussi, elles ont évolué. C’est l’évolution de la musique d’un jeune homme, qui prend de l’âge, qui connaît des hauts et des bas. Je dirai que ma musique a grandi, comme moi. C’est la mixtape de la maturité !


Tu es né en Martinique, une île musicalement bouillonnante, avant d’arriver très tôt dans un autre territoire de son, le 93. Comment tu te lances dans la musique, et de quelle manière ces lieux t’ont influencé dans ces premiers pas ? 

Je dirai pas que la Martinique m’a influencé, mais plus l’éducation que j’ai reçu. Mes influences elles viennent pas particulièrement de là-bas, elles sont plus vastes que ça. Après j’arrive à Bondy, dans le 93, j’ai trois ans. Pour la musique, en fait ma mère en faisait déjà, elle jouait d’un instrument. Mais en fait, c’est plus mes potes qui faisaient du rap. J’ai commencé avec eux, à faire des freestyles. De base, le premier que j’ai posé c’était pour me foutre de leur gueule, j’ai pris le texte d’un gars qui freestylait sur internet et je l’ai refait. Ils ont compris que je leur avais mis une douille, mais ils ont trouvé ça lourd. Du coup, je suis parti écrire un vrai texte, et j’ai plus jamais arrêté. C’était ça l’ambiance de l’époque, des petits microbes qui traînent ensemble et qui rappent. J’avais, 12, 13, 14 ans. Tu sais, l’époque ou tu commences à faire n’importe quoi.  


Quelques années plus tard, un clip apparaît sur Youtube, celui d’un certain T.H.O.R, en feat avec Magass.

C’est le tout premier clip que j’ai fait, avec mon pote. C’était la première fois que je rencontrais un caméraman, que j’organisais un clip, c’est le meilleur clip que j’ai fait presque. Parce que c’est dans ma cité, avec tous les petits, et que c’est un bon souvenir. A l’époque mon nom c’était T.H.O.R. J’ai fini par garder les deux premières lettres. 


C’est marrant parce que le son sort en 2017, mais on y retrouve beaucoup d’attributs de ta musique actuelle. Tu cries déjà comme tu le fais 8 ans plus tard, dans ton morceau avec Ziak par exemple, tu utilise déjà des images très crues dans tes textes, comment tu expliques ça ? 

Avec Reese, un compositeur dont je suis très proche, on a passé beaucoup de temps devant l’ordinateur. À essayer de faire des instrus, d'enregistrer des morceaux, depuis que j’ai 16 ans. Aujourd'hui j'en ai 28. Toute ma vie je suis resté devant l’ordinateur. Ça fait plus de 10 ans qu’on est là-dedans, on a toujours essayé de développer notre truc, notre identité. Donc elle se ressent peut-être déjà un peu à l’époque. 


Photo : Idriss Nassangar @idriss_nassangar


Tout ce temps passé, c’était dans le but d’expérimenter, de tester des choses ? 

Tu vois, quand tu joues au foot, t’es obligé de faire des jongles. Le dimanche, même s’il pleut, tu joues. S’il y a un match, tu le regardes. Pour le rap c’est pareil en vrai, tu veux atteindre un niveau de musique particulier, il faut passer un maximum de temps derrière ton instrument. Le mien c’est l’ordinateur. 

“Pour le rap, si tu veux atteindre un niveau de musique particulier, il faut passer un maximum de temps derrière ton instrument. Le mien c’est l’ordinateur.” 


Dès le début aussi, tu as un goût pour les images et les métaphores qui sont très présentes dans tes textes. Tu fais presque du rap imaginatif, dans le sens ou ta musique appelle à beaucoup d’images, tu pourrais nous expliquer pourquoi ces métaphores sont aussi présentes dans ta musique ? 

Tu vois, nous les mecs de Bondy Nord, on vanne. Toute notre vie, c’est faire des blagues. Depuis qu’on est petits, tous les jours on invente des nouvelles blagues. Et dans mon écriture, je garde un peu cet esprit, ce côté instinctif. J’écris comme je parle en vrai ! Après dans mon écriture, ça reste un peu plus recherché, c’est du rap. Mais oui, je parle comme je rappe. Après je dis pas des gros mots et des dingueries à chaque phrase, et j’hurle pas quand je parle, mais ouais, les blagues, les comparaisons, ça influence beaucoup mon écriture et les images que j’utilise.


On va revenir à la période Signal, ton projet en deux parties. Sur la seconde partie justement, il y a un morceau qui je crois a marqué beaucoup de monde, c’est ADN. Dans ce morceau, tu prends sur le refrain une voix qu’on a rarement entendue chez toi, c’est une voix très aiguë, chargée d’auto-tune. C’est quelque chose que t’avais envie d’explorer aussi, ces envolées très aériennes, très mélodieuses qui contrastent avec ton univers ? 

Avec Reese et Ameen, on écoute pas que du rap, ni que du rap hardcore. On écoute plein de musiques différentes, du coup, ça m’a toujours donné envie de chanter, de pousser ma voix en studio. D’être spontané. Ce jour-là, j’étais au studio avec Ameen, en train de me faire coiffer je me rappelle. On était en studio, entre potes, et tu sais j’ai tenté ce refrain ou je crie un « ouuuh » comme ça. On était morts de rire, je me mets à faire le loup tu vois ! Pour ce genre de sons, y’a pas de recherche. Je me lève pas le matin en disant « je vais sortir une note de 13 secondes », je suis pas dans ça. Je suis pas dans le calcul. Juste on est en studio, on a une idée, on la fait et on la garde. Spontané. C’est pour ça que le titre s’appelle comme ça, parce que la démarche improvisée, c’est notre ADN. 


Finalement tu as une posture de scientifique aussi, tu expérimentes beaucoup. 

Surtout, je suis pas tout seul dans le laboratoire ! Je bosse beaucoup avec mes potes, je les écoute. Madozz aussi il écoute du son, il a sa playlist, Ameen il a sa playlist, Reese il a sa playlist. Ils écoutent tous du son, et moi j’ai pas la science du rap. Ça veut dire que leurs idées, elles sont aussi bonne à prendre que les miennes. Parfois ils me disent de changer une phrase, je vais le faire et ça rend bien, parfois je sais ce que je veux. En fait, l’équilibre qu’on a, on le trouve dans l’écoute. On s’écoute tous, ça fait 5, 6 ans qu’on le fait. Le jour ou on s’écoute plus, c’est certain que les sons ils seront plus pareils.


C’est un travail de famille finalement.

D’entreprise familiale même ! Mais oui, il faut prendre des autres. Dans la vie comme dans la musique. J’ai pas la science infuse, à 5 cerveaux ça sera toujours mieux qu’avec un seul. Je leur fait grave confiance, ils savent ce qui me ressemble. Et parfois, ils m’emmènent là où je serai jamais allé seul. 


Après Signal et Signal II, tu sors un projet qui te fait passer une étape assez marquante : E-TRAP. Mais c’est plus qu’un nom de projet, c’est un genre que tu as développé avec ton équipe. Est-ce que tu peux nous donner la vraie définition de l’E-TRAP ? 

C’est le terme qu’on a associé aux sons qu’on fait. Au début quand je sortais des sons, comme c’était spécial, on disait que mes sons, c’était du TH. Comme on l’a fait avec Jul par exemple, ou on appelle son style les sons « à la Jul ». Moi je veux pas qu’on dise ça de moi. J’ai rien du tout contre jul, au contraire, mais je veux pas qu’on dise des sons « à la TH ». Donc je me suis dit, j’ai envie de trouver un mot qui caractérise ce que je fais, comme un tampon sur une plaquette de bédo. Et mon délire, c’est faire de la Trap Hybride, électronique, émotionnelle. Donc on a mis le E devant trap. J’ai pas la prétention du tout de réinventer la Trap ou de la renouveler, juste, je me l’approprie. Quand t’écoute du TH, t’écoutes de la E-Trap. C’est tout. 


Photo : Idriss Nassangar @idriss_nassangar


Ce genre il se caractérise aussi par un gros travail de son, que ce soit sur les prods très électroniques et grésillantes, et les mix qui sont aussi assez aériens. 

Oui, y’a de ça. Mais surtout, un jour j’étais avec Ameen, et on a fait bugger l’ordinateur sur une prod. Ça a créé une sorte de sub, et un bug qui crée une basse, ça caractérisait de ouf ce que je voulais faire. C’est pour ça que je me suis dit qu’il fallait que je trouve un nom pour ça. Dans le morceau E-MOTION aussi, à un moment le son il est en filtré bizarre, il grésille. C’est parce qu’on était en train d’ouvrir des dossiers pendant le rec, et on a cramé que pendant que t’ouvre des fichiers ça fait craquer FL. C’est ça aussi la E-TRAP, c’est faire bugger l’ordi. J’en suis déjà à 5, 6 macs qui fonctionnent plus, en 10 ans. Une fois, j’étais sur un Mac, et il a failli prendre feu. C’est ça la E-Trap. 

“J’en suis déjà à 5, 6 macs qui fonctionnent plus, en 10 ans. Une fois, j’étais sur un Mac, et il a failli prendre feu. C’est ça la E-Trap.”


Tu es aussi très proche d’un autre rappeur du 93, un certain Stavo. 

Tu sais, Sevran c’est à 10 minutes en voiture de Bondy Nord. Quand 13 block ça a commencé à péter, nous on écoutait normal. Parce que c’est des mecs d’à côté, et aussi parce que c’est très très lourd. J’adore Zed, Oldpee, Zefor, mais Stavo… Il a ce truc un peu balèze, il fait des blagues, il fait pas trop de rimes. Il a ce truc d’écriture qui me parle trop. Je sais faire des rimes, je peux en faire plein, mais ne pas en faire, passer du coq à l’âne c’est marrant aussi. Tu peux faire rimer deux phrases, puis pas faire rimer la troisième, faire rimer la quatrième… Il y a plein de façons d’écrire un texte. Chez Stavo, c’est cette particularité qui m’a plu. Alors on a connecté, et des sons on en a fait plein ensemble. 


Est-ce que, toi, tu as un processus d’écriture, des conditions pour pouvoir bien poser un texte ? 

Alors pas du tout. Je pense qu’au début, on se dit qu’il faut ça, des bonnes conditions. J’ai passé beaucoup de temps chez moi, à écrire dans ma chambre. Et après, à force de traîner avec JayJay et Alpha, de faire des intrus direct et d’enregistrer… Sur 300 jours, j’ai dû faire 200 sons. Donc ça devient quasi instantané, les textes. Ma journée je la raconte ! Par exemple, sur Algorithme, aucune séance n’a duré plus d’une heure. Dès fois j’écris, dès fois je pose sans texte. L’intro, par exemple, je l'ai faite en Angleterre à 4 heures du matin, entre deux carnavals. Il y a des sons je les écris dans l’Eurostar, d’autres je les écris parce que je reçois une instru et je gratte 4-5 mesures direct, d’autres je les écris sans écouteurs. Dans les embouteillages je peux écrire ! Ça fait partie de mes journées d’écrire, à tout moment c’est un truc que je peux faire. C’est devenu instinctif. Je suis toujours d’astreinte pour écrire des textes. 

“Ça fait partie de mes journées d’écrire, à tout moment c’est un truc que je peux faire. C’est devenu instinctif.  Dans les embouteillages je peux écrire !”


Ça te procure quoi d’écrire ? 

Je sais pas trop, rien de particulier je dirai. Mais le fait d’être mort de rire, avec Madozz, quand on écrit un texte, je pense c’est ça qui nous fait le plus kiffer. Je pense que nous, dans notre processus de travail, ce qu’on aime le plus c’est même pas de faire une instru et d’enregistrer, c’est faire des blagues. On sait qu’avec telle ou telle phrase on va rigoler, faire des ambiances en criant… c’est marrant !


Pourtant, tout n’est pas drôle dans ta musique : tu abordes souvent des thématiques comme la guerre, les armes et les évolutions technologiques, tout ce lexique de guerre fait beaucoup partie de ta musique. Tu saurais dire pourquoi elle prend une place aussi grande dans tes textes ? 

Depuis que je suis petit, il y a la guerre dans les livres. Dans les bandes dessinées, ça se bagarre. Il y a la guerre, sur le front, mais il y a plein de types de guerres. La guerre psychologique, la guerre diplomatique… Tout le monde fait sa petite gué-guerre dans sa petite vie. On se bat contre ses addictions, contre le sommeil quand t’es en retard au taff, ou sur les terrains de football américain. Faut gagner la demi-finale, on va à la guerre. Et il y a guerre, la vraie guerre. Celle qui existe sur les champs de bataille. Avant ils faisaient la guerre avec des épées et des chevaux, maintenant il y a des drones et des robots-chien. Mais aujourd’hui, quand j’ouvre la fenêtre, y’a pas la guerre. Y’a des gens qui courent, y’en a d’autres qui conduisent des bus. Mais si je mets la télé, il y a la guerre. Je vis dans une réalité ou elle existe sans exister, du coup je finis par en parler. 


On va parler aussi d’un des morceaux qui a le mieux fonctionné de ta discographie, Le Terrain.  C’est un morceau à l’instrumentale Bouyon, et quand tu le sors, on est à l’été 2024, juste avant la déferlante du genre en France. Comment à un moment ou ce genre n’existait pas encore trop dans la scène hexagonale, l’idée t’es venue de faire un morceau Bouyon ? 

En fait, comme je t’ai dis, j’ai une éducation antillaise. La Martinique, ça fait partie de moi. Et pendant ces heures ou j’étais devant l’ordi, à chercher des sons, je suis retombé sur des sons du bled. Ça m’a rappelé que j’avais toujours voulu faire un son dans ce délire là. Quand j’écoute les sons de mon bled, et que y’a du Bouyon, je kiffe ma vie ! Et c’est un truc où ça se popularise en ce moment dans le rap français, mais quand je fais Le Terrain, j’en entendais pas trop. Et c’est ça le rôle d’une mixtape, c’est de tester des instrus, des nouveaux flows, c’est plus expérimental. Même le son d’après, CANETTE ENERGISANTE, c’est une instru mi-jersey mi-garage, et je kiffe !


TH - LE TERRAIN


Le Garage et le Bouyon, c’est aussi des genre qui existent aussi beaucoup au bout de l’eurostar, à Londres. Là bas vit le garage parce qu’il y est né, et aussi le Bouyon grâce au Carnaval de Notting Hill. On en a parlé, mais tu y vas très régulièrement, qu’est-ce que tu trouves et qu’est-ce que tu vas chercher dans cet évènement ? 

Ma mère, elle m’a beaucoup emmenée aux Pays-bas et en Angleterre, la Belgique aussi. J’ai passé beaucoup de temps dans le nord. J’avais un petit cousin qui habitait à Londres, on y allait souvent. Le carnaval, je l’ai déjà fait enfant ! T’observes, c’est un truc de fou. Après, j’y suis allée à 13 ans, à 16 ans, 17, 18, 19… j’y vais depuis toujours presque ! En soi, le carnaval c’est un moment pour nous, faire la fête, écouter du son. C’est pour ça que j’y vais. Avant j’y allais avec mes cousins, maintenant j’y vais avec mes potes du rap. 3 jours ou tu danses beaucoup, tu marches, tu dors pas. J’y retournerai l’année prochaine, s'il n'y a pas la guerre. 


Est-ce que tu as un but, un objectif à atteindre avec ta musique ? 

Comme je te disais, je veux me concentrer sur les détails, sur les petits trucs qui vont changer la manière dont les gens comprennent ma musique. En vrai je m’en fous d’être riche. Je m’en fous d’avoir des disques d’or. Tout ce que je veux, à chaque fois que je sors un projet ou un son, si à un être humain ça lui fait un truc, j’ai réussi. J’ai aussi envie de savoir ce que ça fait d’être une rockstar. Je veux ne plus pouvoir aller faire de courses. Comme je l’imaginais devant le miroir. Mais ouais, le rap c’est ça. Je m’en fous d’être millionnaire, je m’en fous d’avoir des chaînes en or. Tant que ma musique à chaque fois qu’elle passe dans ses enceintes ou des écouteurs, elle touche des gens, c’est bon. Tant que ça fait la sensation de : « au début du comprends pas, et à la fin c’est la drogue », que la E-TRAP ça devient un produit fort, comme le tampon sur la plaquette, c’est bon. La drogue que je veux vendre maintenant c’est les émotions. Si la musique elle me touche pas dans le ventre, si le son il rentre pas dans le centre de mon corps, si les basses elles font pas vibrer mes intestins, c’est pas la musique qui m’intéresse. C’est physique la musique. Ça se ressent.


Retrouve l'interview complète dans Radikal Magazine 001 - [disponible ici]

Stupéfiant. Comme ses envolées qui prennent autant la forme d’une mélodie qu’un cri de rage, comme ses textes aux images aussi contrastées que percutantes et comme le produit qu’il écoulait en grande quantité, TH a quelque chose de stupéfiant.

Depuis ses premiers morceaux sortis sous le nom de T.H.O.R jusqu’à sa dernière mixtape Algorithme, rééditée en juillet dernier, TH a choisi la radicalité. Celle qui le pousse à explorer sa réappropriation de la trap, celle qui ne l’empêche pas d’hurler des menaces comme de susurrer des promesses, celle qui le caractérise et forge depuis plus de 8 ans une sonorité unique dans le rap francophone, entre une imposante brutalité et une grande sensibilité. De son obsession pour les détails en passant par son écriture imaginative jusqu’à la quête des vibrations, entretien exclusif avec l’un des rappeurs les plus passionnant de ces dernières années, qui se livre pour la première fois après 4 ans de silence médiatique. Rencontre avec un artiste qui évolue loin des normes. 



RDKL TH, bienvenue ! On est quelques mois après la sortie de ta dernière mixtape, Algorithme, et un an après la sortie de E-TRAP, la mixtape qui t’as installé comme l’un des talents les plus bruts de la scène française. Comment tu te sens à froid, après cette dernière sortie, et qu’est-ce qui a changé pour toi entre E-TRAP et Algorithme ?

TH On est très contents des retours et de ce qu’on a produit. Franchement, faire Algorithme c’était très… cool, très tranquille. On fonctionne en équipe, entre nous. Les sons tournent, j’ai des bons retours, je vois le public chanter les paroles. Sinon, ce qui a changé en vrai, c’est que mes sons sont devenus plus intimes, les sonorités aussi, elles ont évolué. C’est l’évolution de la musique d’un jeune homme, qui prend de l’âge, qui connaît des hauts et des bas. Je dirai que ma musique a grandi, comme moi. C’est la mixtape de la maturité !


Tu es né en Martinique, une île musicalement bouillonnante, avant d’arriver très tôt dans un autre territoire de son, le 93. Comment tu te lances dans la musique, et de quelle manière ces lieux t’ont influencé dans ces premiers pas ? 

Je dirai pas que la Martinique m’a influencé, mais plus l’éducation que j’ai reçu. Mes influences elles viennent pas particulièrement de là-bas, elles sont plus vastes que ça. Après j’arrive à Bondy, dans le 93, j’ai trois ans. Pour la musique, en fait ma mère en faisait déjà, elle jouait d’un instrument. Mais en fait, c’est plus mes potes qui faisaient du rap. J’ai commencé avec eux, à faire des freestyles. De base, le premier que j’ai posé c’était pour me foutre de leur gueule, j’ai pris le texte d’un gars qui freestylait sur internet et je l’ai refait. Ils ont compris que je leur avais mis une douille, mais ils ont trouvé ça lourd. Du coup, je suis parti écrire un vrai texte, et j’ai plus jamais arrêté. C’était ça l’ambiance de l’époque, des petits microbes qui traînent ensemble et qui rappent. J’avais, 12, 13, 14 ans. Tu sais, l’époque ou tu commences à faire n’importe quoi.  


Quelques années plus tard, un clip apparaît sur Youtube, celui d’un certain T.H.O.R, en feat avec Magass.

C’est le tout premier clip que j’ai fait, avec mon pote. C’était la première fois que je rencontrais un caméraman, que j’organisais un clip, c’est le meilleur clip que j’ai fait presque. Parce que c’est dans ma cité, avec tous les petits, et que c’est un bon souvenir. A l’époque mon nom c’était T.H.O.R. J’ai fini par garder les deux premières lettres. 


C’est marrant parce que le son sort en 2017, mais on y retrouve beaucoup d’attributs de ta musique actuelle. Tu cries déjà comme tu le fais 8 ans plus tard, dans ton morceau avec Ziak par exemple, tu utilise déjà des images très crues dans tes textes, comment tu expliques ça ? 

Avec Reese, un compositeur dont je suis très proche, on a passé beaucoup de temps devant l’ordinateur. À essayer de faire des instrus, d'enregistrer des morceaux, depuis que j’ai 16 ans. Aujourd'hui j'en ai 28. Toute ma vie je suis resté devant l’ordinateur. Ça fait plus de 10 ans qu’on est là-dedans, on a toujours essayé de développer notre truc, notre identité. Donc elle se ressent peut-être déjà un peu à l’époque. 


Photo : Idriss Nassangar @idriss_nassangar


Tout ce temps passé, c’était dans le but d’expérimenter, de tester des choses ? 

Tu vois, quand tu joues au foot, t’es obligé de faire des jongles. Le dimanche, même s’il pleut, tu joues. S’il y a un match, tu le regardes. Pour le rap c’est pareil en vrai, tu veux atteindre un niveau de musique particulier, il faut passer un maximum de temps derrière ton instrument. Le mien c’est l’ordinateur. 

“Pour le rap, si tu veux atteindre un niveau de musique particulier, il faut passer un maximum de temps derrière ton instrument. Le mien c’est l’ordinateur.” 


Dès le début aussi, tu as un goût pour les images et les métaphores qui sont très présentes dans tes textes. Tu fais presque du rap imaginatif, dans le sens ou ta musique appelle à beaucoup d’images, tu pourrais nous expliquer pourquoi ces métaphores sont aussi présentes dans ta musique ? 

Tu vois, nous les mecs de Bondy Nord, on vanne. Toute notre vie, c’est faire des blagues. Depuis qu’on est petits, tous les jours on invente des nouvelles blagues. Et dans mon écriture, je garde un peu cet esprit, ce côté instinctif. J’écris comme je parle en vrai ! Après dans mon écriture, ça reste un peu plus recherché, c’est du rap. Mais oui, je parle comme je rappe. Après je dis pas des gros mots et des dingueries à chaque phrase, et j’hurle pas quand je parle, mais ouais, les blagues, les comparaisons, ça influence beaucoup mon écriture et les images que j’utilise.


On va revenir à la période Signal, ton projet en deux parties. Sur la seconde partie justement, il y a un morceau qui je crois a marqué beaucoup de monde, c’est ADN. Dans ce morceau, tu prends sur le refrain une voix qu’on a rarement entendue chez toi, c’est une voix très aiguë, chargée d’auto-tune. C’est quelque chose que t’avais envie d’explorer aussi, ces envolées très aériennes, très mélodieuses qui contrastent avec ton univers ? 

Avec Reese et Ameen, on écoute pas que du rap, ni que du rap hardcore. On écoute plein de musiques différentes, du coup, ça m’a toujours donné envie de chanter, de pousser ma voix en studio. D’être spontané. Ce jour-là, j’étais au studio avec Ameen, en train de me faire coiffer je me rappelle. On était en studio, entre potes, et tu sais j’ai tenté ce refrain ou je crie un « ouuuh » comme ça. On était morts de rire, je me mets à faire le loup tu vois ! Pour ce genre de sons, y’a pas de recherche. Je me lève pas le matin en disant « je vais sortir une note de 13 secondes », je suis pas dans ça. Je suis pas dans le calcul. Juste on est en studio, on a une idée, on la fait et on la garde. Spontané. C’est pour ça que le titre s’appelle comme ça, parce que la démarche improvisée, c’est notre ADN. 


Finalement tu as une posture de scientifique aussi, tu expérimentes beaucoup. 

Surtout, je suis pas tout seul dans le laboratoire ! Je bosse beaucoup avec mes potes, je les écoute. Madozz aussi il écoute du son, il a sa playlist, Ameen il a sa playlist, Reese il a sa playlist. Ils écoutent tous du son, et moi j’ai pas la science du rap. Ça veut dire que leurs idées, elles sont aussi bonne à prendre que les miennes. Parfois ils me disent de changer une phrase, je vais le faire et ça rend bien, parfois je sais ce que je veux. En fait, l’équilibre qu’on a, on le trouve dans l’écoute. On s’écoute tous, ça fait 5, 6 ans qu’on le fait. Le jour ou on s’écoute plus, c’est certain que les sons ils seront plus pareils.


C’est un travail de famille finalement.

D’entreprise familiale même ! Mais oui, il faut prendre des autres. Dans la vie comme dans la musique. J’ai pas la science infuse, à 5 cerveaux ça sera toujours mieux qu’avec un seul. Je leur fait grave confiance, ils savent ce qui me ressemble. Et parfois, ils m’emmènent là où je serai jamais allé seul. 


Après Signal et Signal II, tu sors un projet qui te fait passer une étape assez marquante : E-TRAP. Mais c’est plus qu’un nom de projet, c’est un genre que tu as développé avec ton équipe. Est-ce que tu peux nous donner la vraie définition de l’E-TRAP ? 

C’est le terme qu’on a associé aux sons qu’on fait. Au début quand je sortais des sons, comme c’était spécial, on disait que mes sons, c’était du TH. Comme on l’a fait avec Jul par exemple, ou on appelle son style les sons « à la Jul ». Moi je veux pas qu’on dise ça de moi. J’ai rien du tout contre jul, au contraire, mais je veux pas qu’on dise des sons « à la TH ». Donc je me suis dit, j’ai envie de trouver un mot qui caractérise ce que je fais, comme un tampon sur une plaquette de bédo. Et mon délire, c’est faire de la Trap Hybride, électronique, émotionnelle. Donc on a mis le E devant trap. J’ai pas la prétention du tout de réinventer la Trap ou de la renouveler, juste, je me l’approprie. Quand t’écoute du TH, t’écoutes de la E-Trap. C’est tout. 


Photo : Idriss Nassangar @idriss_nassangar


Ce genre il se caractérise aussi par un gros travail de son, que ce soit sur les prods très électroniques et grésillantes, et les mix qui sont aussi assez aériens. 

Oui, y’a de ça. Mais surtout, un jour j’étais avec Ameen, et on a fait bugger l’ordinateur sur une prod. Ça a créé une sorte de sub, et un bug qui crée une basse, ça caractérisait de ouf ce que je voulais faire. C’est pour ça que je me suis dit qu’il fallait que je trouve un nom pour ça. Dans le morceau E-MOTION aussi, à un moment le son il est en filtré bizarre, il grésille. C’est parce qu’on était en train d’ouvrir des dossiers pendant le rec, et on a cramé que pendant que t’ouvre des fichiers ça fait craquer FL. C’est ça aussi la E-TRAP, c’est faire bugger l’ordi. J’en suis déjà à 5, 6 macs qui fonctionnent plus, en 10 ans. Une fois, j’étais sur un Mac, et il a failli prendre feu. C’est ça la E-Trap. 

“J’en suis déjà à 5, 6 macs qui fonctionnent plus, en 10 ans. Une fois, j’étais sur un Mac, et il a failli prendre feu. C’est ça la E-Trap.”


Tu es aussi très proche d’un autre rappeur du 93, un certain Stavo. 

Tu sais, Sevran c’est à 10 minutes en voiture de Bondy Nord. Quand 13 block ça a commencé à péter, nous on écoutait normal. Parce que c’est des mecs d’à côté, et aussi parce que c’est très très lourd. J’adore Zed, Oldpee, Zefor, mais Stavo… Il a ce truc un peu balèze, il fait des blagues, il fait pas trop de rimes. Il a ce truc d’écriture qui me parle trop. Je sais faire des rimes, je peux en faire plein, mais ne pas en faire, passer du coq à l’âne c’est marrant aussi. Tu peux faire rimer deux phrases, puis pas faire rimer la troisième, faire rimer la quatrième… Il y a plein de façons d’écrire un texte. Chez Stavo, c’est cette particularité qui m’a plu. Alors on a connecté, et des sons on en a fait plein ensemble. 


Est-ce que, toi, tu as un processus d’écriture, des conditions pour pouvoir bien poser un texte ? 

Alors pas du tout. Je pense qu’au début, on se dit qu’il faut ça, des bonnes conditions. J’ai passé beaucoup de temps chez moi, à écrire dans ma chambre. Et après, à force de traîner avec JayJay et Alpha, de faire des intrus direct et d’enregistrer… Sur 300 jours, j’ai dû faire 200 sons. Donc ça devient quasi instantané, les textes. Ma journée je la raconte ! Par exemple, sur Algorithme, aucune séance n’a duré plus d’une heure. Dès fois j’écris, dès fois je pose sans texte. L’intro, par exemple, je l'ai faite en Angleterre à 4 heures du matin, entre deux carnavals. Il y a des sons je les écris dans l’Eurostar, d’autres je les écris parce que je reçois une instru et je gratte 4-5 mesures direct, d’autres je les écris sans écouteurs. Dans les embouteillages je peux écrire ! Ça fait partie de mes journées d’écrire, à tout moment c’est un truc que je peux faire. C’est devenu instinctif. Je suis toujours d’astreinte pour écrire des textes. 

“Ça fait partie de mes journées d’écrire, à tout moment c’est un truc que je peux faire. C’est devenu instinctif.  Dans les embouteillages je peux écrire !”


Ça te procure quoi d’écrire ? 

Je sais pas trop, rien de particulier je dirai. Mais le fait d’être mort de rire, avec Madozz, quand on écrit un texte, je pense c’est ça qui nous fait le plus kiffer. Je pense que nous, dans notre processus de travail, ce qu’on aime le plus c’est même pas de faire une instru et d’enregistrer, c’est faire des blagues. On sait qu’avec telle ou telle phrase on va rigoler, faire des ambiances en criant… c’est marrant !


Pourtant, tout n’est pas drôle dans ta musique : tu abordes souvent des thématiques comme la guerre, les armes et les évolutions technologiques, tout ce lexique de guerre fait beaucoup partie de ta musique. Tu saurais dire pourquoi elle prend une place aussi grande dans tes textes ? 

Depuis que je suis petit, il y a la guerre dans les livres. Dans les bandes dessinées, ça se bagarre. Il y a la guerre, sur le front, mais il y a plein de types de guerres. La guerre psychologique, la guerre diplomatique… Tout le monde fait sa petite gué-guerre dans sa petite vie. On se bat contre ses addictions, contre le sommeil quand t’es en retard au taff, ou sur les terrains de football américain. Faut gagner la demi-finale, on va à la guerre. Et il y a guerre, la vraie guerre. Celle qui existe sur les champs de bataille. Avant ils faisaient la guerre avec des épées et des chevaux, maintenant il y a des drones et des robots-chien. Mais aujourd’hui, quand j’ouvre la fenêtre, y’a pas la guerre. Y’a des gens qui courent, y’en a d’autres qui conduisent des bus. Mais si je mets la télé, il y a la guerre. Je vis dans une réalité ou elle existe sans exister, du coup je finis par en parler. 


On va parler aussi d’un des morceaux qui a le mieux fonctionné de ta discographie, Le Terrain.  C’est un morceau à l’instrumentale Bouyon, et quand tu le sors, on est à l’été 2024, juste avant la déferlante du genre en France. Comment à un moment ou ce genre n’existait pas encore trop dans la scène hexagonale, l’idée t’es venue de faire un morceau Bouyon ? 

En fait, comme je t’ai dis, j’ai une éducation antillaise. La Martinique, ça fait partie de moi. Et pendant ces heures ou j’étais devant l’ordi, à chercher des sons, je suis retombé sur des sons du bled. Ça m’a rappelé que j’avais toujours voulu faire un son dans ce délire là. Quand j’écoute les sons de mon bled, et que y’a du Bouyon, je kiffe ma vie ! Et c’est un truc où ça se popularise en ce moment dans le rap français, mais quand je fais Le Terrain, j’en entendais pas trop. Et c’est ça le rôle d’une mixtape, c’est de tester des instrus, des nouveaux flows, c’est plus expérimental. Même le son d’après, CANETTE ENERGISANTE, c’est une instru mi-jersey mi-garage, et je kiffe !


TH - LE TERRAIN


Le Garage et le Bouyon, c’est aussi des genre qui existent aussi beaucoup au bout de l’eurostar, à Londres. Là bas vit le garage parce qu’il y est né, et aussi le Bouyon grâce au Carnaval de Notting Hill. On en a parlé, mais tu y vas très régulièrement, qu’est-ce que tu trouves et qu’est-ce que tu vas chercher dans cet évènement ? 

Ma mère, elle m’a beaucoup emmenée aux Pays-bas et en Angleterre, la Belgique aussi. J’ai passé beaucoup de temps dans le nord. J’avais un petit cousin qui habitait à Londres, on y allait souvent. Le carnaval, je l’ai déjà fait enfant ! T’observes, c’est un truc de fou. Après, j’y suis allée à 13 ans, à 16 ans, 17, 18, 19… j’y vais depuis toujours presque ! En soi, le carnaval c’est un moment pour nous, faire la fête, écouter du son. C’est pour ça que j’y vais. Avant j’y allais avec mes cousins, maintenant j’y vais avec mes potes du rap. 3 jours ou tu danses beaucoup, tu marches, tu dors pas. J’y retournerai l’année prochaine, s'il n'y a pas la guerre. 


Est-ce que tu as un but, un objectif à atteindre avec ta musique ? 

Comme je te disais, je veux me concentrer sur les détails, sur les petits trucs qui vont changer la manière dont les gens comprennent ma musique. En vrai je m’en fous d’être riche. Je m’en fous d’avoir des disques d’or. Tout ce que je veux, à chaque fois que je sors un projet ou un son, si à un être humain ça lui fait un truc, j’ai réussi. J’ai aussi envie de savoir ce que ça fait d’être une rockstar. Je veux ne plus pouvoir aller faire de courses. Comme je l’imaginais devant le miroir. Mais ouais, le rap c’est ça. Je m’en fous d’être millionnaire, je m’en fous d’avoir des chaînes en or. Tant que ma musique à chaque fois qu’elle passe dans ses enceintes ou des écouteurs, elle touche des gens, c’est bon. Tant que ça fait la sensation de : « au début du comprends pas, et à la fin c’est la drogue », que la E-TRAP ça devient un produit fort, comme le tampon sur la plaquette, c’est bon. La drogue que je veux vendre maintenant c’est les émotions. Si la musique elle me touche pas dans le ventre, si le son il rentre pas dans le centre de mon corps, si les basses elles font pas vibrer mes intestins, c’est pas la musique qui m’intéresse. C’est physique la musique. Ça se ressent.


Retrouve l'interview complète dans Radikal Magazine 001 - [disponible ici]

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